Banque : pourquoi votre conseiller change tous les ans ?

« Mon conseiller bancaire ? Je ne connais même pas son nom, il change tout le temps ». Une situation dénoncée par bon nombre de clients des banques traditionnelles mais qui, année après année, n’évolue pas et a tendance à empirer.

Alors qu’il n’y a jamais eu autant d’enquêtes de satisfaction et que les concepts d’expérience client et de fidélité font plus que jamais partie intégrante de la stratégie des banques, les Français jugent sévèrement la qualité des services bancaires. D’après la dernière enquête de l’Académie du service, seuls 48% s’en disent satisfaits, contre 56% dans le secteur de l’assurance, 60% dans la téléphonie et même 70% pour l’e-commerce (1).

La déshumanisation de la relation avec sa banque et le turnover des chargés de clientèle – c’est-à-dire le fait que les conseillers changent régulièrement – y sont pour beaucoup selon Serge Maître, président de l’Association française des usagers des banques (Afub) : « Nous sommes confrontés à une évolution de la banque, qui se traduit par un appauvrissement de la relation bancaire, puisque de plus en plus on remplace l’individu par la machine ».

Des conseillers bancaires en quête de sens :

Et ce processus de dématérialisation de la relation client va s’intensifier dans les années à venir. D’après un rapport co-écrit par l’Observatoire des métiers de la banque et du cabinet HTS Consulting, sorti fin 2018, 40% des activités bancaires seront pris en charge partiellement ou totalement par des outils d’intelligence artificielle d’ici 2025 (2). 4 000 rapports d’analystes financiers seront étudiés chaque jour par ces logiciels. Ces analyses de données portant sur l’environnement économique, les produits des banques ou encore les comportements clients vont permettre « d’émettre des recommandations d’investissements personnalisées en quelques secondes, faisant économiser aux conseillers jusqu’à deux heures par jour », peut-on lire dans cette étude d’impact.

Économie de temps ou de salariés : pour l’Afub, cette tendance va de pair. « Le turnover participe à cette dématérialisation », nous explique son président. Les changements réguliers d’interlocuteur bancaire viennent « saper la continuité d’une relation de confiance entre un client et son banquier ». Du point de vue des conseillers bancaires, cette digitalisation latente crée une incertitude qui peut expliquer leur départ précoce. « Nous nous rendons compte que pour les jeunes embauchés, le salaire ne fait pas tout. Si l’entreprise n’est pas capable de donner du sens au travail effectué, ils sont prêts à aller faire autre chose », explique, quant à lui, Gilles Mira, président du syndicat salarié SNB/CFE-CGC.

Le turnover va perdurer :

Recevoir tous les 2 à 3 ans, voire moins selon les agences, un courrier informant d’un changement de conseiller bancaire n’est pas nouveau. Cette politique a débuté il y a plus de 10 ans. Et elle semble agacer toujours autant. « D’après les remontées que l’on a du terrain, les clients se plaignent très régulièrement et fortement que leur interlocuteur change trop fréquemment. Ils ont envie que la relation dure plus longtemps, ce qu’ils n’ont pas aujourd’hui », déplore le SNB/CFE-CGC.

Ce qui ne change pas non plus, c’est que la « valse » des conseillers concerne davantage les clients des grandes agglomérations – là où la densité bancaire est élevée – que ceux résidant dans des zones moins concurrentielles. En toute logique, il est en effet plus facile pour un conseiller de changer de poste lorsqu’il y a plusieurs agences à proximité. « Le marché est porteur pour les cadres. Du coup, il y a de réelles opportunités de voir progresser son salaire en changeant d’établissement », explique Gilles Mira.

Une tendance exacerbée ces dernières années. D’après le dernier rapport de l’Association française des banques, en 2018, 51% des départs de chargés de clientèle particuliers en CDI étaient le fait de démissions (après 48% en 2017), contre 40% à l’échelle de l’ensemble des salariés des banques (3). Problème, ces départs prématurés ne peuvent pas toujours être remplacés rapidement. « C’est un irritant pour les clients lorsque, parce qu’il manque du monde en agence, ils se trouvent sans conseiller personnel », souligne le porte-parole syndical.

Une politique visant à « éviter les situations nauséabondes » :

Les changements de conseillers ne s’expliquent pas uniquement par les démissions des salariés. Pour les directions des banques, c’est « un mode de gestion destiné à éviter les situations nauséabondes, des compréhensions, voire des complaisances entre un conseiller et son client », explique Serge Maître. Le principal argument en faveur de cette politique salariale est de permettre la poursuite d’objectifs commerciaux. Pour y parvenir, les conseillers s’appuient souvent sur un logiciel de CRM (pour customer relationship management) permettant de capter et d’analyser les données des clients pour leur faire des propositions commerciales adaptées. Mais, en contrepartie, cela empêcherait un suivi tenant compte de la personnalité de l’usager. « A l’appréciation personnelle, faite par quelqu’un qui connaît son client, va se substituer une appréciation par ratios objectifs qui ne prend pas en compte sa pratique bancaire », déplore le porte-parole de l’Afub.

Derrière le remplacement du conseiller bancaire se profile aussi une autre source de mécontentement pour les usagers : des lacunes dans la passation des dossiers. Selon une source syndicale, il peut en effet arriver que les clients doivent expliquer à leur nouveau conseiller leur situation professionnelle et financière, et plaider leur cause pour conserver une disposition consentie par leur précédent interlocuteur. En théorie, l’ancien conseiller briefe son successeur pendant quelques jours. Pour Gilles Mira, « il ne peut évidemment pas lui présenter l’intégralité de son portefeuille de clients… un conseiller généraliste pouvant avoir entre 1 000 et 1 200 particuliers en charge. Mais cela n’est pas nouveau ». En revanche, ce problème semble être exacerbé suite à la rationalisation et le regroupement des agences. « Quand une agence ferme, les clients sont basculés dans une autre, et donc, de fait, les portefeuilles clients grossissent », développe le président du SNB/CFE-CGC.

(1) Edition 2019 du baromètre Cultures et services 2019 a été administrée auprès d’un échantillon représentatif de la population française de 1800 personnes du 19 février au 5 mars 2019 . L’étude a été confiée par l’Académie du Service à Ipsos. 

(2) Nouvelles compétences, transformation des métiers à horizon 2025 : réussir l’accompagnement au changement. Décembre 2018. 

(3) Profil de branche 2019, rapport sur l’emploi dans les banques AFB en 2018.

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